Le temps passe, mais les oeuvres demeurent. Dès l’instant de leur naissance, disait en substance Merleau-Ponty, elles regardent jusqu’au fond de l’avenir. Ce livre, à sa manière, en témoigne. Il s’agit moins d’une anthologie que d’une oeuvre polyphonique où se tissent ensemble les liens de mémoire et cet aspect essentiel de l’activité poétique que l’on pourrait appeler “la quête du moderne dans le passé”. Qu’il s’agisse de Virgile, de Dante, de Wang Wei, d’Étienne Jodelle, de John Donne, de Bashô, d’Évariste Parny, de Leopardi ou de Laforgue, c’est-à-dire de poètes dont les noms sont demeurés en pleine lumière ou dans une plus secrète pénombre, pour les poètes d’aujourd’hui qui les lisent, ces poètes d’autrefois sont nos contemporains. L’éloignement ou la proximité ne tiennent pas à une distance objective mais à la qualité du regard.
On le remarque chaque jour, il y a des morts plus vivants que les vivants. les poètes ne seront jamais les sentinelles d’un temps étriqué. ils récusent la tyrannie d’un présent qui ne serait pas coexistence des temps. Les lumières lointaines qui les atteignent ont la même force que celles qu’ils veulent projeter sur l’avenir, remarquait Paul Eluard.
Ce livre est un objet chargé d’énergie. Traversé par la grâce des rencontres heureuses.
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«Passeurs de mémoire» est l’emblème de l’édition 2005 du Printemps des poètes. C’est pour nous une formule que l’esprit de ce livre nous incite à mettre en résonance avec d’autres notions : la tradition, la modernité, le contemporain…Il importe d’écouter ce que les poètes ont à nous dire à ce propos. Et sans doute y a-t-il quelque urgence à le faire, en un siècle où le présentisme, qui est tout le contraire de la présence, tend à devenir coercitif et absolu.
Ce livre est aussi celui d’une réprocité du regard. Les poètes du passé sont rendus à la fraîcheur inaltérable de la présence, mais en retour ils éclairent aussi d’un nouveau jour les gestes profonds qui animent les oeuvres des poètes d’aujourd’hui. En somme, c’est un livre de rencontres qui est proposé ici. Des rencontres dont le lecteur ne sera pas seulement le témoin, puisqu’il s’y trouvera impliqué par toutes les ressources du plaisir, de l’intelligence et de la sensibilité.
Jean-Baptiste Para, Passeurs de mémoire ( Préface), De Théocrite à Alfred Jarry, la poésie de toujours lue par 43 poètes d’aujourd’hui, Poésie/Gallimard, 2005, pp.7/8.
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Auteur : Pierre Grosz
Compositeur : Michel Précastelli
Interprète : Francesca Solleville.