
«Dame blanche» (vers 4000 AEC) peinture rupestre. Culture des «Têtes Rondes». Ocre rouge, et blanc. Aouanrhet. Tassili n’Ajjer, Algérie. Musée de l’Homme
Je suis Souleymane Diamanka dit Duajaabi Jeneba
Fils de Boubacar Diamanka dit Kanta Lombi
Petit-fils de Maakaly Diamanka dit Mamadou Teneђ
Arrière-petit-fils de Demba Diamanka dit Leђgel Ñaama
Etc., etc.
J’ai été bercé par les vocalises silencieuses de mes ancêtres
Et je sais que cette voix jamais elle ne se taira
Elle me souhaitera d’être un digne héritier de ce peuple nomade
D’être Duajaabi Jeneba l’enfant peul
Descendant de Bilaali Sadi Hole le bien nommé
Haal pulaar*
Peuple d’amour dont le pays est un poème
Et le drapeau une mosaïque de milliers de proverbes
Le peuple peul et ses dictons c’est comme la savane et ses hautes herbes
Comme l’océan glacé et ses gouttes d’eau
Comme le Sahara brûlant et ses grains de sable
Haal pulaar
Peuple migrateur d’orateurs
Dont Amadou Hampaté Bâ a été l’ambassadeur
On passe à l’heure de l’oralité manuscrite
Qui comme une perle de lune perce la brume
Le jour où il écrit de sa plus belle plume « En Afrique un vieillard qui meurt
c’est une bibliothèque qui brûle »
Peuple berger qui a fait de la parole un art
Et qui a moins peur de la mort que de perdre l’honneur
Mon baobab généalogique a ses racines en Afrique
Et sa cime en Europe
Le tronc de ses traditions a ses faiblesses et ses forces
Mais les orages identitaires abîment son écorce
Haal pulaar
Peuple gitan du Sahel
Venu s’abreuver par la force des choses au lac des sédentaires
Quelques siècles avant de partir pour un terrain occidental accidenté
De la saison de la misère les prisonniers se libèrent seuls
J’ignore le secret des titres à succès que les libraires veulent
Mais ce chapitre de leur Histoire aurait pu s’appeler
l’hiver peul
Des piétons d’une ancestrale Afrique de l’Ouest
Affrontent la souffrance la soif et le froid jusqu’à la France
Pour mettre leur famille à l’abri de la famine
Pendant leurs nuits d’insomnies
Ils se demandent
Où sommes-nous ?
Et du fond des âges les esprits répondent à l’unisson
Nous sommes loin de là où nous sommes nés
Dans une brousse urbaine et hostile
Capable de dresser la barrière de la langue
Au sein d’un foyer comme un désaccord au cœur d’une ligue
Alors que les mots sont presque le seul héritage que les parents lèguent
Les voyageurs ne savent plus où ils vont
Et la route risque d’être longue
Leur sagesse reste muette
Ils observent les gens qui s’agitent
Et ils comprennent dans les miroirs que les gens dressent sur leur passage
Que c’est du visage de l’étranger qu’il s’agit
Ils regardent cette terre inconnue les nuits de nostalgie
Comme on regarde l’océan à bord d’un radeau
À la dérive quelque part entre le port de Dakar et le port de Bordeaux
Les paupières closes et les joues creuses ils se souviennent
Ils se souviennent du village des fruits des odeurs et de tous les détails
Des marches vers l’horizon
Des rizières dérisoires et des têtes de bétail
Ils gardent dans leur cœur les adages venus du fin fond du Fouladou
Depuis qu’ils ont dit Ladde naabo** leur vie n’a plus tout à fait le même goût
Souleymane Diamanka, L’hiver peul in Habitant de nulle part, originaire de partout, Préface d’Oxmo Puccino, Inédit, Éditions Points, Collection Points/Poésie, Collection dirigée par Alain Mabanckou, 2021, p.15 & s.
L’hiver peul
Auteur, interprète : Souleymane Diamanka
* parle peul
** Savane ouvre grand la bouche, expression signifiant “pars à l’aventure”