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[Le livre] Vélimir Khlebnikov

Boris Kosarev-Portrait of Velimir Khlebnikov-1922

 

LE LIVRE

J’ai vu les noirs Véda
le Coran et l’Évangile
et les livres aux plats
de soie des Mongols
eux-mêmes faits de la cendre des steppes
du kizäk odorant
comme le font
les femmes kalmoukes chaque matin
faire un feu
et se coucher soi-même sur lui
veuves blanches
cachées dans un nuage de fumée
pour accélérer la venue
du livre
Ce livre un
bientôt vous le lirez       bientôt
Blanches     les mers brillent
dans les côtes mortes des baleines
Chant sacré      voix sauvage mais juste
Et les fleuves azur      sont les marque-pages
où le lecteur lit
où est l’arrêt des yeux qui lisent
Ce sont les grands fleuves —
la Volga où la nuit on chante à Razine
où on allume des feux sur les barques
le Nil jaune      où l’on prie le soleil
le Yang-Tsé-Kiang      où est la fange épaisse des humains
la Seine      où sont vendues des femmes aux yeux sombres
et le Danube      où toutes les nuits brillent
des hommes blancs sur les vagues     sur des barques en chemises blanches
la Tamise      où est l’ennui gris et les bâtiments — dieux pour les foules
l’Ob renfrogné      où on fouette le dieu tous les soirs
et où on danse devant un ours à l’anneau de fer sur son cou blanc
avant qu’il ne soit mangé par toute la tribu
et le Mississipi      où les hommes ont pris pour pantalon le ciel étoilé
et portent un chiffon de ce ciel sur des bâtons
Le genre humain est le lecteur du livre
et la couverture porte l’inscription du créateur
mon nom      archaïques caractères bleus
Mais tu lis nonchalamment
plus d’attention !
Tu es trop distrait et tu regardes en paresseux
comme si c’était les leçons d’un catéchisme
Ces grandes chaînes de montagnes enneigées et ces grandes mers
ce livre un
bientôt      bientôt tu vas le lire
Dans ces pages saute la baleine
et l’aigle      qui a plié la page de l’angle
se pose sur les vagues marines
pour se reposer sur le lit du pygargue

[1920] ms.automne 1921

 

Vélimir Khlebnikov, Œuvres 1919-1922, Traduit du russe, préfacé et annoté par Yvan Mignot, Verdier, Collection « Slovo », 2017, pp. 287/288.

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