Maarten de Vos – Léopard – 1603
Caprices et maladresses, effort, non-sens et échos d’autres poètes, tout cela concourt à former le chaos vivant d’un petit recueil de vraie poésie. D’un bout à l’autre le traverse la naïveté intrinsèque sans laquelle nulle poésie ne peut exister, pas même la plus sophistiquée. Cette naïveté est l’ouverture de l’âme au soleil du chaos, et l’âme peut s’ouvrir comme un lys, ou un lys tigré, ou une dent-de-lion, ou une belladone, ou encore comme une fleur de mouron blanc plutôt chétive, et ce sera de la poésie appartenant à sa propre espèce. Mais il faut qu’elle s’ouvre. Cette ouverture, et elle seule, est l’acte d’attention essentiel, l’acte poétique vital et essentiel. Il est possible que nous tâtonnions en accomplissant cet acte, et qu’une averse de grêle nous frappe. Mais c’est dans l’ordre des choses. C’est par cet acte, et par lui seul, que nous vivons vraiment : dans cette ouverture naïve et des plus intimes de l’âme, comme une fleur, comme un animal, comme un serpent coloré, peu importe, vers le soleil de la chaotique vitalité.
Désormais, après une longue période d’affectation, d’aplomb et de désinvolture, les jeunes gens s’éveillent au fait qu’ils manquent cruellement de vie et d’essentiel soleil, et cette privation même les pousse enfin à faire acte de soumission, à accomplir l’acte d’attention, à s’ouvrir à la naïveté intérieure, délibérément et avec intrépidité, à reconnaître le chaos et le soleil du chaos. C’est la nouvelle naïveté, choisie, retrouvée, reconquise.
[…]
il y a l’autre voie, celle qui ramène au soleil, à la foi en le léopard tacheté du moi hétérogène. Quoi de plus chaotique qu’un léopard moucheté trottant dans l’ombre mouchetée ? Et telle est notre vie, réellement. Pourquoi essayer de nous blanchir à la chaux ? — ou de nous camoufler au moyen d’un motif artificiellement chaotique ? Tout ce que nous devons faire, c’est accepter le chaos véritable qui nous compose, comme le jaguar moucheté de soleils noirs sur fond d’or.
D.H. Lawrence, Le chaos en poésie, Chaos in Poetry, bilingue, introduit et traduit de l’anglais par Blandine Longre, Éditions Black Herald Press, 2017, pp.29 à 31.
D.H LAWRENCE
The Exile of D. H. Lawrence
Auteur, compositeur, interprète : Matt Hill