Milarépa sur le mont Kailash – pigments et or sur coton – Tibet vers 1500
[…] comme Socrate qui dans ses derniers poèmes renonce aux discours et préfère le chant « offrande musicale» qui prophétise le silence.
Ainsi les poèmes de Milarepa ; ils assument les traités les plus rigoureux et les plus vigoureux du Vajrayana, mais de cette épaisse cuirasse ils ne gardent qu’une robe de coton qui prophétise la nudité toujours proche, l’Ouvert dont il est devenu l’incomparable témoin. Lors de mon pèlerinage au mont Kailash l’écoute de certains poèmes de Milarepa me laissa bouche bée, les yeux grands ouverts, sans rien voir, dans l’impossibilité même de regarder quelque chose…
De l’extérieur, on m’aurait sans doute pris pour un « ravi de la crèche», dans un état d’hébétude plus que de béatitude, mais qu’importe la béatitude s’il n’y a personne pour en jouir et qu’importe si il y a personne ou quelqu’un : il n’y a plus d’il y a…
Milarepa, il a chaud, avec sa robe de coton, là où tout le monde a froid avec son manteau de fourrure ; à cette hauteur où tout le monde s’asphyxie ou étouffe, il respire au large, c’est qu’il est brûlant et que nous sommes glacés.
D’où vient ce Souffle, cette chaleur ?
De la « maîtrise du rien » dit-il, mais, on ne maîtrise pas « rien », qui prétendrait contenir le vide s’il n’est d’abord contenu par lui ?
Milarepa utilisa tant de techniques avant de découvrir qu’il n’y avait pas de techniques ; on ne réchauffe pas le soleil avec des feux de paille, on ne capture pas le Souffle avec des pranayamas, on ne contient pas l’espace sans y laisser tout son argile et toutes ses plumes…
Jean-Yves Leloup, Milarepa – Les dits du mont Kailash suivi de Les trois voies dans le bouddhisme et le christianisme, Éditions Almora, 2020, E. 17/965.