Cap aujourd’hui sur les Malgaches, auprès de Jacques Rabemananjara, poète et homme politique, héros de l’indépendance malgache né en 1913 à Madagascar, et décédé à Paris en 2005. Condamné aux travaux forcés suite à l’insurrection de 1947, Jacques Rabemananjara est amnistié en 1956. Il raconte ici la genèse d’Antsa, sublime texte écrit, comme un jaillissement, ce soir où un gardien lui annonça qu’il serait fusillé au matin. Il faut croire que l’on trouve la lumière des mots sur les marches du soir, tant ce texte est sublime.
En 1988, l’Académie française lui a décerné le Grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.
Sylvie-E. Saliceti
Edward Hopper-Island-1939
Récit des conditions d’écriture d’Antsa
Trois extraits d’Antsa lus par Jacques Rabemananjara
ANTSA
Ile !
Ile aux syllabes de flamme !
Jamais ton nom
ne fut plus cher à mon âme !
Ile,
ne fut plus doux à mon cœur !
Ile aux syllabes de flamme,
Madagascar !
Quelle résonance !
Les mots
fondent dans ma bouche :
Le miel des claires saisons
dans le mystère de tes sylves,
Madagascar !
Je mords ta chair vierge et rouge
avec l’âpre ferveur
du mourant aux dents de lumière,
Madagascar !
Un viatique d’innocence
dans mes entrailles d’affamé,
Je m’allongerai sur ton sein avec la fougue
du plus ardent de tes amants,
du plus fidèle,
Madagascar !
Qu’importent le hululement des chouettes
le vol rasant et bas
des hiboux apeurés sous le faîtage
de la maison incendiée !oh, les renards,
qu’ils lèchent
leur peau puante du sang des poussins, du sang auréolé des flamants-roses !
Nous autres, les hallucinés de l’azur,
nous scrutons éperdument tout l’infini bleu de la nue,
Madagascar !
Jacques Rabemananjara, Oeuvres complètes, Poésie, Antsa, Éditions Présence africaine, 2000.