
Andre Lhote-Marin avec accordéon-1920
Les marins
Auteur : Xavier Grall
Compositeur, interprète : Dan Ar Braz
Buste X. Grall
Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
Leurs mains crevassées par les chasses marines
Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
Portent les songes des frêles brigantines
Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d’Irlande
Retraités, usant les bancs au levant des chaumières
Leurs dents mâchonnant des refrains de Marie Galante
Ils lorgnent l’horizon blanc des provendes hauturières
Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
Leurs crânes pensifs roulent des trésors inouïs
Des voiliers brisés dans les goémons rageurs
Et luisent leurs regards comme des louis
Les vieux de chez moi n’attendent plus rien de la vie
Ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
Mangé la cotriade et siroté l’eau de vie
La mort peut les prendre, noire comme pinasse
Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
Observant le port, le jardin, l’hortensia
Ils diront simplement aux Jeannie, aux Maria
“Adieu, les Belles, c’est le branle-bas”
Et les femmes des marins fermeront leurs volets.
Xavier Grall, Oeuvre poétique, présentée par Mireille Guillemot, Yvon Le Men, Jan Dau Melhau, Rougerie , 2011, p. 87.
N.B : Le texte mis en chanson fait l’économie de la deuxième strophe.
Pour compléter l’exploration de l’oeuvre de Xavier Grall, il faut parler du lien avec l’éditeur de ses oeuvres complètes, René et Olivier Rougerie. À ce sujet, voici un article paru dans le magazine littéraire, écrit par Jean-Yves Masson le 22 juin 2010 :
«Éditeur de poésie, et rien que de poésie, fidèle à une conception artisanale de ce métier qui fut aussi celle d’un Guy Lévis Mano, René Rougerie nous a quittés le 12 mars dernier à 84 ans.
Diffusés par lui-même directement auprès d’un réseau de libraires fidèles, en dehors des grands circuits commerciaux, ses livres aux titres rouges sur fond d’un blanc immaculé ont servi de références à plusieurs générations d’amoureux de la poésie, constituant l’un des catalogues les plus riches du demi-siècle écoulé, avec des auteurs comme Saint-Pol Roux, Joë Bousquet, Pierre Dhainaut ou René Guy Cadou. Son fils Olivier poursuit l’aventure, fort heureusement. Belle coïncidence, l’occasion de leur rendre hommage nous est offerte par la publication de l’oeuvre poétique de l’un des auteurs « historiques » de la maison, Xavier Grall (1930-1981). Celui-ci est si évidemment breton, et sa renommée si grande en Bretagne, où se sont multipliés depuis trente ans les hommages en tout genre, qu’il court le danger d’être réduit au rang de poète régional. Or il vaut bien mieux que cela, car il y a dans son attachement à sa terre et aux hommes qui la peuplent quelque chose de tragique qui touche à l’universel et qu’il faut écouter, une complainte, un appel aux frères humains qui prolonge l’héritage de Villon, une protestation aussi contre la laideur marchande du monde moderne qui n’a rien perdu de son actualité. Il faut surprendre ce chant bien au-delà du trop évident tribut que Xavier Grall paya parfois à son époque (mais il finit par écarter, dans la seconde moitié des années 1970, le mirage du militantisme indépendantiste). Certains de ses poèmes risquent en effet (risque assumé) de tomber dans l’informe, ils flirtent même parfois avec la chanson, ce grand piège tendu à tous les poètes qui ne se résignent pas à réunir autour d’eux une communauté trop restreinte de lecteurs. Mais, pour finir, il n’y tomba pas. Le poète sut qu’il valait mieux regarder du côté de Verlaine, se confier à la chair des mots, entendre battre leur coeur. Il écouta le chant qu’il portait en lui, magnifiquement généreux. Ce chant parlait de « la bonté de la rivière », des calvaires bretons qui « chantaient un choral sous le pas des pierres », des feux sur la mer, des dunes et de la pluie, et il se fit même pure prière dans Solo, peut-être son plus beau poème. Xavier Grall aurait eu 80 ans en ce 22 juin 2010, et il reste jeune à jamais.»
Jean-Yves Masson