Gustave Caillebotte – Rue de Paris, Temps de pluie (étude)-1877 -Musée Marmottan-
L’intelligence de Cummings aura été d’explorer inlassablement l’émotivité du signe écrit, qui jaillit comme en creux de la charge insoupçonnée de silence dont il procède. Le poète a paru ainsi habité par l’évidence «d’une chanson plus silencieuse que le silence» qui trouve son idiosyncrasie lacunaire dans le(s) blanc(s) sur la page, le mouvement en retenue ou en explosion des lettres, des mots ou de la ponctuation.
Thierry Gillybœuf
LA PLUIE EST UN BEL ANIMAL
Sur quoi j’attrape un train et soudain me retrouve à Paris avant la nuit,en mai. Au bord du fleuve des arbres laissent aller ici-là en silence des pétales,paquets de senteurs,qui tombent en planant sur une perspective de piétons bavardant;timidement qui caressent chapeaux épaules,robes et poignets;qui muettement atterrissent sur des rires d’hommes et d’enfants,de filles et de soldats. Au crépuscule ces choses exquises et ridicules descendent au milieu des gens,doucement et impérissablement. Les gens ne regrettent pas d’être vivants. Ils ne sont pas honteux. Ils sourient, avancent gaîment et irrévocablement se dirigent dans le crépuscule vers la Foire aux pains d’épice. Je suis vivant,je vais avec la foule,je remonte lentement la perspective parmi chapeaux et soldats,parmi sourires et cravates,embrassades et vieillards,poignets et rires. Nous tous irrévocablement avançons,avançons lentement et gaîment avançons. S’entremêlant les épaules de nous et nos chapeaux timidement sont touchés par un million de frôlements;par des pétales et par des femmes et par des rires et par toujours:tandis que sur nos esprits,se pressent magnifiquement et se referment les chauds tentacules du soir.
E.E. Cummings, Paris, Bastille-Nation-Charonne, Poésie/Seghers, Édition bilingue, Traduit de l’anglais et présenté par Jacques Demarcq, 2014, p.129.