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[La chanson d’Annie Ernaux] C’est extra de Léo Ferré, en deux versions féminines

             William Chase – The Keynote – 1915

Annie Ernaux vient de recevoir, aujourd’hui 6 octobre 2022, le prix Nobel de littérature. Dans les quelques lignes qui suivent, l’écrivain nous éclaire sur ce dialogue singulier qui existe, dans son oeuvre, entre l’expression littéraire et l’art mineur des chansonniers. A. Ernaux entretient avec la chanson un rapport personnel, au point que ses livres sont littéralement traversés d’une « playlist d’amour et de mort».

Ci-après deux interprétations féminines de «C’est extra», que l’écrivain nomme « sa » chanson,  chantée en premier par Annick Cisaruk, puis par Térez Montcalm dans une version hypnotique.

Et vous,  quelle est « votre » chanson ?

Sylvie-E. Saliceti

 

Il m’est arrivé de me demander quelle chanson qui me parviendrait par hasard sur mon dernier lit, une radio, un disque — personne ne chante , ne siffle même plus dans la rue —, serait la plus terrible à entendre. Quelle chanson liée à une période de ma vie, la ressuscitant en une sorte d’éclair éblouissant au moment de sortir du temps pour toujours en me donnant le regret le plus aigu de quitter le monde. C’est évidemment une question que je me suis posée quand j’éprouvais la sensation de vivre avec une intensité inouïe, la certitude de l’impossibilité d’un bonheur plus grand. Donc, généralement, dans le cours d’une passion, où, paradoxalement, on a l’impression qu’on pourrait mourir sans effort ni douleur de ce même bonheur. (…) Sans surprise, les chansons attachées à ces moments où j’ai eu l’impression de vivre au-dessus de moi-même sont des chansons d’amour, aux rimes et comparaisons éculées, dont la mélodie fait toute la valeur. Il faut cette grande banalité, cette absence d’analyse, pour soutenir et embellir le désir amoureux, nous fondre dans la foule des croyants de l’amour.

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C’est extra
Auteur, compositeur  : Léo Ferré
Interprète : Annick Cisaruk

Dans ma playlist d’amour et de mort, que je ferai commencer à mes dix-sept ans, il y a : Histoire d’un amour (…), Mon Dieu, la supplique d’Édith Piaf (…), Un jour tu verras de Mouloudji (…).

Dans cette période de profond désarroi où l’état de ma mère me plongeait, j’avais rencontré un homme qui avait forcé les défenses dont je m’étais longtemps entourée afin d’écrire. Il était devenu mon amant. Plus ma mère s’enfonçait dans une nuit que je ne voulais pas encore admettre comme irrémédiable, plus j’étais dévorée pour cet homme d’un désir où l’amour ne me paraissait avoir aucune part. Je ne pouvais faire que cela, l’amour, je m’arc-boutais contre la déchéance et la mort (…) quand je sortais d’une visite à ma mère, que je remontais dans ma voiture, j’ouvrais aussitôt le lecteur de cassettes et je mettais à fond de la musique, des chansons. La chanson inoubliée de ces retours d’hôpital en R5, sur la voie rapide … la chanson sur laquelle je fendais le paysage de béton, fuyant la vieillesse et la mort est de Léo Ferré : C’est extra.

Annie Ernaux, Playlist, C’est Extra, in Variétés, Litttérature et chanson, Sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest, NRF, Juin 2012, p.50 & s.

https://sylviesaliceti.com/wp-content/uploads/2016/11/bfd1b-01-11-terez_montcalm-c_est_extra-128.mp3?_=2

C’est Extra
Auteur, compositeur : Léo Ferré
Interprète : Térez Moncalm

 

 

 

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