Simryn Gill – Full moon- 2012
La vie est un tissu mêlé ou alternatif de prose et de poésie. On peut appeler prose les activités pratiques, techniques et matérielles qui sont nécessaires à l’existence. On peut appeler poésie ce qui nous met dans un état second : d’abord la poésie elle-même, puis la musique, la danse, la jouissance et, bien entendu, l’amour. Prose et poésie étaient étroitement entretissées dans les sociétés archaïques. Par exemple, avant de partir en expédition ou au moment des moissons, il y avait des rites, des danses, des chants. Nous sommes dans une société qui tend à disjoindre prose et poésie, et où il y a une très grande offensive de prose liée au déferlement technique, mécanique, glacé, chronométré, où tout se paie, tout est monétarisé.
Donc, poésie-prose, tel est le tissu de notre vie. Hölderlin disait : « Poétiquement, l’homme habite la terre. » Je crois qu’il faut dire que l’homme l’habite poétiquement et prosaïquement à la fois. S’il n’y avait pas de prose, il n’y aurait pas de poésie, la poésie ne pouvant apparaître évidente que par rapport à la prosaïté.
Nous avons donc cette double existence, cette double polarité, dans nos vies.
(…)
Dans les sociétés archaïques, qu’on appelait injustement primitives, qui ont peuplé la terre, qui ont fait l’humanité et dont les dernières sont en train d’être sauvagement massacrées en Amazonie et dans d’autres régions, il y avait une relation étroite entre les deux langages et les deux états. Ils étaient entremêlés. Dans la vie quotidienne, le travail était accompagné de chants, de rythmes, on préparait avec des mortiers la farine en chantant, on utilisait ce rythme. Prenons l’exemple de la préparation de la chasse, dont témoignent encore les peintures préhistoriques, notamment celles de la grotte de Lascaux, en France ; ces peintures nous indiquent que les chasseurs font des rites d’envoûtement sur des gibiers qui sont peints sur la roche, mais ils ne se satisfont pas de ces rites : ils utilisent des flèches réelles, ils utilisent des stratégies empiriques, pratiques, et ils mêlent les deux. Or, dans nos sociétés contemporaines occidentales, une séparation, je dirais même une disjonction, s’est opérée entre les deux états, la prose et la poésie.
Edgar Morin, Amour Poésie Sagesse, Éditions du Seuil, 1997, Format numérique non pag.
Le centre du motif
Auteur, compositeur, interprète : Anne Sylvestre
Merci de me proposer de commencer cette journée avec Anna Sylvestre qui me touche tant…vue plusieurs fois sur scène…qui m’accompagne ( photo dans mon bureau, allant, marchant franche vers le présent ,quel qu’il soit, avec curiosité, confiance, humour subtil.
Avec Edgar Morin aussi qui, à plus de 100 ans, ne perd rien de sa verdeur de son acuité…
Merci chère Martine pour ces échanges ; ils sont la raison d’être de ces carnets. Car, à l’exemple de Celan,
…je ne vois pas de différence entre un poème et une poignée de main.