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[Alouette] Saint-Pol-Roux

 

Joan Miró – L’aile de l’alouette encerclée du bleu d’or rejoint le coeur du coquelicot endormi sur la prairie parée de diamants-1967

 

Il se disait puisatier de la Parole. L’Univers, ajoutait-il, est une catastrophe tranquille : le poète démêle, cherche ce qui respire à peine sous les décombres et le ramène à la surface de la vie. André Breton voyait en Saint-Pol-Roux le seul authentique précurseur du mouvement dit moderne, pour cette raison lui dédiant Clair de terre. Vercors, lui, ouvre Le silence de la mer par cette dédicace à Saint-Pol-Roux : au poète assassiné. 

Les Éditions Rougerie publient depuis plus de trente ans les manuscrits retrouvés du poète, rescapés de l’incendie du manoir de Camaret – dévastation du travail d’une vie qui l’aura pour finir fait mourir de chagrin, comme le coup de grâce de tant d’épreuves, la plupart liées à la guerre. Il est important de sauver l’oeuvre de ce précurseur, dont le sens profond s’attache justement à redonner vie à l’inerte, et puisqu’ un coeur bat dans tout, même dans les pierres du chemin.

Sylvie-E. Saliceti

 

 

Alouette

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Déjà le crêpe de mystère que jetèrent les fantômes du vêpre sur la chair fraîche de la vie, déjà le crêpe de ténèbre est entamé sur la campagne et sur la ville.

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Ouïs-tu pas la cloche tendre du bon Dieu courtiser de son tisonnier de bruit les yeux, ces belles-de-jour, les yeux blottis dessous les cendres de la nuit?

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Surgis donc du somme où comme morts nous sommes, ô Mienne, et pavoise ta fenêtre avec les lis, la pêche et les framboises de ton être.

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Viens-t’en sur la colline où les moulins nolisent leurs ailes de lin, viens-t’en sur la colline de laquelle on voit jaillir des houilles éternelles le diamant divin de la vaste alliance du ciel

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Du faite emparfumé de thym, lavande, romarin, nous assisterons, moi la caresse, toi la fleur, à la claire et sombre fête des heures sur l’horloge où loge le destin, et nous regarderons là-bas passer le sourire du monde avec son ombre longue de douleur.

Les coups de ciseaux gravissent l’air.

Saint-Pol-Roux, La Rose et les épines du chemin, Les reposoirs de la procession I, Préface de Jacques Goorma, Poésie/Gallimard, 1997, pp 48/49.

 

 

Saint-Pol-Roux

 

 

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