
Vassily Kandinsky- Dans le bleu-1925
Cousu de bleu
Curieuse façon du silence que d’imposer ce chant d’un coq lointain, de renverser les saisons, de faire venir au goût cet été sommeillant, éternel. Cette solaire enfance. Visitation du silence. Ici, entouré de présences plus fortes qu’un hiver. Ici où, presque, la parole m’est retirée, m’est donné ce glissement non pas fataliste mais comme une résignation plus haute. Que, par exemple, ce dialogue muet est plus important ; que la vérification du lieu se passe de paroles, passe uniquement par le corps comme une source qui l’irriguerait.
Trois points lumineux où se cache le soleil sous une masse grise, c’est un signe et il se change en ces fumées lointaines au pied du mont, en rouge-gorge sur une branche nue de micocoulier, en cette main qui trébuche sur le papier. Mobilité du signe mais aussi profonde mutation d’être. Les barrières sont si légères ! Tu as vu cela avec quels yeux ? Les yeux de celui qui brûlait. Et il l’ignorait. Comme j’ignore cette bourrasque de neige sur la montagne et comme elle m’aspire maintenant, me rend à la présence en m’éblouissant.
(…)
Tout est rassemblé. D’énormes distances sont franchies qui me font m’abandonner. Abandonner cet écran. Moi-écran. Mains-oiseaux dans le froid et le passage et l’éclat. Et la percée du soleil, et l’envol des plumes neigeuses, le rebondissement d’arbres en arbres, écoutant l’autre voix, son éternel regain, sa façon d’essaimer le rien. De m’en éblouir. De me tuer ainsi.
Déchire ce bouclier dérisoire !
Alors, de neige en soleil, tu cueilleras l’unique fleur et les voyages s’ouvriront à son parfum de lumière. Le silence revient, il ouvre le ciel. Il porte ce bleu profond que tu es, de toute éternité, toi, l’accroc de ce bleu. Toi, repriseur de bleu. Toi, cousu de bleu.
Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et l’adieu, Préface de Philippe Jaccottet, Mercure de France, 1991, pp.568/569.