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[Ostende] Franck Venaille

           Andreas Achenbach – Vismarkt Ostende -vers 1900

 

Je porte en moi une très étrange nostalgie de cet avant-monde que je retrouve parfois (pas à chaque fois) dans la solitude de la plage d’Ostende au petit jour, quand la lumière s’étale, par glissements progressifs entre vie et mort, dirait-on. Je ne suis pas ce démiurge qui fais des signes aux éléments, les convoque et leur demande de lui rendre des comptes. Et pourtant, d’une certaine manière, je fais appel à des forces souterraines, voire intimes, pour écrire. C’est l’écriture qui sert de relais entre le monde concret (eau-ciel-vent-feu) et moi. Tout vient d’elle. Tout aboutit à elle. Au fond je suis nostalgique de cette chaude matière vivante (parfois inanimée) qui nous ramène aux origines. Avant l’écriture. Avant ce monde-ci. Quand la justice était rendue par le Tribunal des chevaux qui conseillait à l’écrivain plaidant de conserver la part sauvage demeurant en lui. Ecrire n’est pas se montrer raisonnable, plier devant l’autorité du style, se protéger de ses propres humeurs. En un mot je ne suis pas pour le respect (de la langue, de la prosodie, de la narration, du descriptif et de la sage psychologie). Je suis de l’écriture. Dans l’écriture. C’est mon seul bien. Ecrire m’a fait. Ecrire m’accompagnera jusqu’à la fin. Ecrire coordonne ma vie. Dans Caballero Hotel comme dans Deux, j’ai parlé femme, pour les femmes, en femme. Je revendique tous les droits. J’ai ce besoin de tout ramener à moi pour le subtiliser à la grande dévoreuse, de me servir de tous les matériaux (ah les nobles et pas les nobles). C’est peut-être ainsi qu’est né ce mouvement mental qui m’a conduit à découvrir l’animalité sans pour autant chercher à la copier. Je suis devenu cheval flamand. J’ai participé à la bataille des Éperons d’or, contre les chevaliers français pleins de morgue. Mais est-ce bien le rôle de l’écriture de restituer en la mimant l’agitation historique, les combats, les amours, les faims? Non, c’est insuffisant et j’en attends autre chose. Notamment qu’elle prenne ses distances avec les matériaux que lui fournit le réel, afin de le contourner, le modifier, le déconstruire et le déstructurer. J’ai évoqué autrefois la mémoire utérine, c’est-à-dire ce temps de la prise en charge du monde par le langage, les mots et l’écriture. La poésie naît de ce qui, sans elle, demeurerait à jamais sans nom. Elle part du néant de la langue, du vide, du blanc, pour -les transformant- devenir ce signe, ce chant, sans lesquels toute vie est impossible. Je le sais désormais : un poème est, autant qu’il le veut, relevé topographique, témoignage, déclaration sur l’honneur, clin d’oeil ou hymne amoureux.

Franck Venaille, C’est nous les Modernes, Poésie/Flammarion, 2010, pp 7/8

 

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Comme à Ostende
Auteur : Jean-Roger Caussimon
Compositeur : Léo Ferré

Interprète : Julien Clerc