Ainsi disait, de façon prémonitoire, Jean Cocteau : « La poésie est la plus haute expression permise à l’homme. Il est normal qu’elle ne trouve plus aucune créance dans un monde qui ne s’intéresse qu’aux racontars.» En effet, la poésie n’est pas de l’ordre des racontars, en effet elle ne nous raconte pas d’histoires, une autre raison donc de l’exclure dans le hors-champ.
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J’en ai été témoin tant de fois : la plupart de ceux qui, accoutumés à la langue basse de la logorrhée médiatique et du discours technocratique, entendent un poème à eux offert à l’improviste, remercient. J’ai eu le sentiment parfois qu’ils y retrouvaient une dignité et comme une fierté pour eux-mêmes. Il y a une distinction dans la langue du poème qui est une distinction morale. Or, je me souviens à ce sujet de ce que disait Roland Barthes à propos du théâtre populaire, que la distinction ne devait pas être l’apanage de la bourgeoisie mais être un bien commun et que, au peuple, il fallait le donner en partage.
Nous vivons un temps vulgaire : la seule écoute d’un poème y objecte. Ceci même : le seul fait de dire un poème pour soi-même c’est s’insurger contre la vulgarité du temps et s’éprouver libre par clandestine insoumission.
Propager la poésie c’est contester l’assimilation du populaire au vulgaire que l’évolution sémantique de ce dernier terme à travers les siècles énonce. Rendre la poésie populaire, la plus distinguée poésie, c’est venger le peuple de la vulgarité à quoi on le réduit, par le partage de la distinction.
Jean-Pierre Siméon, La poésie sauvera le monde, Le Passeur Éditeur, 2015, p.101.