
Jérôme Bosch – “L’Enfer”. Détail : oreilles et couteau. Panneau droit du triptyque : “Le Jardin des Délices”- 1500
LA PLUS DRÔLE DES CRÉATURES
Comme le scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d’épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau
dans tes menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
tu es comme la moule
enfermée et tranquille.
Tu es terrible, mon frère,
comme la bouche d’un volcan éteint.
Et tu n’es pas un, hélas, tu n’es pas cinq,
tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
quand le bourreau habillé de ta peau
quand le bourreau lève son bâton
tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
Plus drôle que le poisson
qui vit dans la mer sans savoir la mer
Et s’il y a tant de misère sur terre
c’est grâce à toi, mon frère,
Si nous sommes affamés, épuisés,
Si nous sommes écorchés jusqu’au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin.
Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.
1948.
Nazim Hikmet, C’est un dur métier que l’exil, Anthologie établie et présentée par Charles Dobzynski, Traductions diverses, Le temps des cerises, 2014, p.61.
La plus étrange des créatures / Dünyanın en tuhaf mahluku
Auteur: Nâzim Hikmet
Compositeur, interprète : Ajda Ahu Giray
Piano: Rémi Mercier
Flûte traversière: Florent Jouffroy
Chère Sylvie E. Saliceti, comme ça me fait plaisir que vous m’ ayez fait rentrer dans votre si bel univers, où je continuerai à me régaler de vos mots, vos textes, vos poèmes et vos publications.Google m’ a alertée du fait que ce magnifique poème de Nazım Hikmet – que j’ ai composé et chanté – a voyagé sur ce blog si précieux. J’ en suis ravie, merci 🙏☀️✨
Chère Ajda Ahu Giray, votre message me touche. Beaucoup. Votre satisfaction est une récompense. Rares sont les mises en musique de la poésie qui savent lui garder toute la place qu’elle mérite. On sent que dans votre travail, de grande qualité, le poème demeure au centre. Dans le même état d’esprit, je vous invite à écouter “le lanceur de dés” de Mahmoud Darwich chanté par Walead Ben Selim. Je le publierai aujourd’hui. J’ai assisté au spectacle il y a quelques semaines à Montpellier. Magnifique ! Nous avons besoin de la poésie afin de rendre le monde respirable. Demeurer à son service suffit au sens de toute une vie. Belle journée à vous et à bientôt peut-être. Sylvie S.