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[Le papier blanc] Georges Séféris

 

 

Kazimir Malevich – Carré blanc sur fond blanc – 1918

 

 

Solstice d’été

Le papier blanc, miroir implacable
restitue seulement ce que tu étais.

Le papier blanc parle avec ta voix
ta propre voix
non pas celle qui te plaît ;
ta musique est la vie
celle que tu as gaspillée.
Tu peux la regagner si tu le veux
si tu te fixes cette chose indifférente
qui te jette en arrière
à ton point de départ.

Tu as voyagé, tu as vu
beaucoup de lunes, beaucoup de soleils.
Tu as touché morts et vivants
tu as ressenti la douleur de l’adolescent
et le gémissement de la femme,
l’amertume de la verte enfance –
tout ce que tu as ressenti s’écroule
si tu ne fais pas confiance à l’espace blanc.
Peut-être y trouveras-tu ce que tu croyais perdu,
l’éclosion de la jeunesse
le juste naufrage des ans.

Ta vie est ce que tu as donné,
ce vide est ce que tu as donné
le papier blanc.

Georges Séféris, Solstice d’éte Poèmes 1933-1955 suivi de Trois poèmes secrets, Traduction Jacques Lacarrière et Egérie Mavraki, Préface d’Yves Bonnefoy, Postface de Gaëtan Picon, Poésie Gallimard, 2009, p. 183.

 

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