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[Chaque enfant qu’on enseigne] Victor Hugo et Walt Whitman

 

 

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Écrit après la visite d’un bagne
Auteur : Victor Hugo
Compositeur, interprète : Chanson plus bifluorée

 

 

Dans l’ouvrage dont un extrait est reproduit ci-dessous, les auteurs restituent les travaux d’un colloque organisé à la Cour de cassation par l’Institut des hautes études sur la justice et l’École nationale de la magistrature, auquel ils ont participé, et qui prolonge les recherches sur le lien entre droit et littérature, telles qu’elles furent initiées par la collection le « Bien commun ».

Avocats, juges : dans le quotidien du tribunal, tout acteur de la vie judiciaire qui se confronte aux salles d’audience sait que ce travail est irremplaçable, qui ouvre la réflexion, l’esprit, le recul. L’art de juger  est interrogé, et ce sont les paroles de Whitman sur le juge-poète qui résonnent ; puissent nos gouvernances et démocraties — malades, entre autres pathologies, d’une parole pervertie autant que de l’inaptitude à la prévoyance — puissent-elles se rappeler que chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.

Sylvie-E. Saliceti

« Droit et littérature », étrange association. Tout semble en effet séparer ces deux univers : le droit fige le réel, la littérature ouvre les portes de la fiction. D’un côté le formalisme de la loi et de l’autre la fantaisie de l’imagination. L’une étonne, dérange, surprend; l’autre rassure et normalise. Comment le « tout est possible » du personnage littéraire pourrait-il donner rendez-vous au « tu ne dois pas » du sujet de droit ? Comment accorder l’abstraction, la règle et l’incarnation du récit ? La généralité du principe et la singularité d’un destin ? La rigidité du prescriptif et la fluidité du descriptif ?

(…) Le premier geste du mouvement  » Droit et littérature « est de rendre le droit et la justice à la vie et donc de les retirer de la seule garde des juristes, qui aimeraient tant en être les usufruitiers. Il faut donc s’y résigner : droit et littérature vivent dans le regard l’un de l’autre. Parce qu’elle est libre, la littérature doit jouir d’une certaine immunité; parce qu’il est responsable, l’interprétation du juriste se doit d’être rigoureuse car ses personnages ne sont pas des êtres de fiction. Le droit est un poème sérieux.

Antoine Garapon et Denis Salas, Le droit dans la littérature, Sous la direction d’A. Garapon et D. Salas, Michalon, Coll. Le bien commun dirigée par A. Garapon, 2008, pp.7 &14.

Whitman appelle le poète-juge  » l’homme équilibre » : son idéal du raisonnement juridique et judiciaire se situe ainsi dans une tradition de pensée qui remonte directement jusqu’à Aristote. Cette tradition propose une conception normative du jugement équitable pour remplacer la confiance simpliste ou réductrice dans les principes généraux abstraits. Whitman, comme Aristote, affirme que ce jugement souple et contextualisé n’est pas une concession à l’irrationnel, mais l’expression la plus complète de la rationalité politique (…). Le poète …est la personne la mieux à même de « conférer aux moindres objets ou qualités la mesure juste », soupesant avec soin les revendications d’une population variée, avec son regard fixé à la fois sur les normes de l’équité (« faiseur d’égalité en son âge en sa terre ») et sur l’histoire … tant l’équité que l’histoire sont toujours plus ou moins en danger en démocratie; le poète-juge est leur protecteur.

Whitman indique que l’équité et la justesse du poète ne tolèrent ni préjugés ni favoritisme: sa confrontation avec le singulier est intime mais inébranlable. (…) La thèse étonnante de Whitman est que l’imagination littéraire doit jouer un rôle important pour … les normes du raisonnement légal et, tout particulièrement, judiciaire, à travers une conception aristotélicienne du jugement pratique.

Martha C. Nussbaum, L’art d’être juste, Climatis, 2015, pp.170/173.

 

 

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