
Milton Avery – Poetry reading – 1957
À quoi ça sert la poésie ? Ça sert à voir plus loin, plus profond dans l’obscur. À marcher tête haute dans l’inconnu. À apprivoiser la nuit qui est en soi et quand on a apprivoisé la nuit, on n’a plus peur des faux monstres ou du moins on sait en déjouer la menace. Ça sert à savoir que rien, être ou chose, n’a un sens définitif, que rien n’est simple et que cette complication est une chance.
À savoir que ce qui est visible ne vaut que par l’invisible qu’il porte. Bref, ça sert à grandir, à ne jamais cesser de grandir, d’agrandir sa compréhension du monde. « La poésie est un extraordinaire accélérateur de la conscience » disait le poète argentin Roberto Juarroz.
Je vous conseille d’oublier tout ce que vous croyiez de la poésie jusqu’à maintenant, qu’un poète c’est forcément ci ou ça, de la rime, des vers bien balancés, de jolis mots, des sentiments tristes, qu’il faut l’apprendre par coeur, le décortiquer comme un crabe, l’analyser pour isoler le virus. Ce-que-le-poète-a-voulu-dire, j’en passe et des pires.
Il y a autant de sortes de poèmes que d’espèces animales sur la planète. La poésie est une invention perpétuelle de formes neuves, inattendues, imprévues… Comprendre un poème c’est accepter ses mystères, accepter de ne pas tout comprendre, qu’il porte en lui des choses qu’on ne comprendra peut-être jamais. Et c’est tant mieux . Est-ce qu’on peut aimer quelqu’un qui n’a plus de mystères pour nous ?
« Les poètes sont nos meilleurs guides. Le lecteur de la poésie n’analyse pas il fait le serment à l’auteur son proche de demeurer dans l’intense. » (Yves Bonnefoy)
Il faut converser avec la poésie et dans cette conversation intérieure, vous avez tous les droits : ceux de l’amour, de l’antipathie, de la colère, du refus, de l‘incompréhension. Lisez, lisez, relisez, faites-vous lire des poèmes, sans vous poser de questions – elles viendront bien toutes seules et la plupart n’auront pas de réponse !
Est-ce que vous n’aimez pas passionnément la vie avec ses mille questions non résolues ?
Faites confiance : il y quelque part, qui n’attend que vous, le poème de Villon, Ronsard, Hugo, Hikmet, Chedid, Cendrars, Vigny, Eluard, Apollinaire…. je ne sais pas… mais je sais que ce poème (en ce temps de confinement), vous comprendra comme on vous a rarement compris, qu’il vous mènera vers les autres, et désormais vous ne pourrez pas plus vous passer de poésie qu’un myope de lunettes.
Jean-Pierre Siméon, in À poèmes ouverts, Anthologie de 50 poètes présentés par Le Printemps des Poètes, précédée de Aïe un poète ! de Jean-Pierre Siméon, Points/Poésie, 2008.
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Auteur : Marc Alyn
Diction : Jean-Louis Trintignant