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[Une grande main de lumière] Jean-Michel Maulpoix

 

Arnaud de Moles, Vitrail de la cathédrale d’Auch, la sibylle de Tibur tenant une main coupée symbolisant la main du garde ayant giflé le Christ,1507-13.

 

 

LE CŒUR DE LA FOUDRE EST UNE MAIN COUPÉE ( BLAISE CENDRARS )

 

Ce désir de voir, de saisir, d’être efficace autant que simple, et d’utiliser l’écriture comme un instrument optique ou comme un moyen d’intervention rapide, rapproche Cendrars d’Henri Michaux. L’un et l’autre élaborent, chacun à sa manière et selon sa formule intime propre, une stratégie de l’homme gauche. L’un et l’autre puisent leur force dans leur défaut. L’un et l’autre prennent la poésie à rebours pour déjouer ses leurres, ses artifices. A l’appui de ce rapprochement, je ne puis d’ailleurs m’empêcher d’entendre le prénom de Cendrars lorsque Michaux répète dans Bras cassé: « Braise. Braise dans le bras. Braise et percements. Horrible cette braise… et absurde.» Comme si la même souffrance, la même brûlure et la même gaucherie avaient alimenté, au moins quelque temps, l’écriture des deux hommes. Comme si le poète n’était pas plusieurs mais un seul, ayant enduré sans cesse le même mal, la même brisure de l’os et la même brûlure de la chair, en des temps et sous des noms différents, pour atteindre le coeur du monde. Bras cassé ou main coupée, défait d’une partie, sinon d’une moitié, de soi-même, seul un homme gauche peut être, pour reprendre une formule de Cendrars à propos de Le Rouge, « un très grand poète anti-poétique ». La main droite, on le sait, est active, efficace, partie prenante, volontiers directive ; tandis que la gauche est songeuse, réfléchie ou végétative. La main droite pourrait être de braise, et la main gauche de cendres. Et c’est bien sa main droite qui continue de brûler Cendrars après qu’il l’a perdue. C’est elle qui garde la mémoire de la foudre. C’est elle que somme toute il décide de sauver, qu’ il se redonne, quand il prend le parti de la vie contre la littérature, ou quand il conduit sa voiture de la main gauche. Dans l’écriture, c’est la vie même qui change de main, qui passe la main, puis qui s’en va de main en main, sous la forme singulière d’un livre. L’écriture change également les mains des hommes quand elle leur permet d’appréhender ce qui d’ordinaire se dérobe. Elle invite aussi à joindre les mains avec une innocence nouvelle, hors de toute croyance, ou dans des églises aux dieux incertains. Elle est ce  « travail d’amour » qui permet le ravissement d’amour. Elle invente enfin des mains plus sereines qui montrent la voie, qui rassurent, apaisent et renforcent. C’est ce qu’écrivait Henri Michaux dans « Mains élues », dernier poème de Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions, dont la première strophe pourrait être offerte à Blaise Cendrars :

Après méditation
naîtrait une main
sereine
apaisant l’accablé
renforçant le sage
déliant le prostré
porteuse
réparatrice
une grande main de LUMIÈRE”

Jean-Michel Maulpoix, La poésie malgré tout, Le cœur de la foudre est une main coupée, Mercure de France, 1996, pp.163 à 165.

 

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Orion
Auteur : Blaise Cendrars
Récitante : Raymonde Cendrars

 

 

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