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[Rien ne s’oppose à la nuit] Delphine de Vigan

 

 

                       Pierre Soulages – 2004

 

J’ignore au fond quel est le sens de cette recherche, ce qui restera de ces heures passées à fouiller dans les cartons, à écouter des cassettes ralenties par l’âge, à relire des courriers administratifs, des rapports de police ou médico-psychologiques, des textes saturés de douleur, à confronter des sources, des discours, des photographies. J’ignore à quoi c’est dû. Mais plus j’avance, plus j’ai l’intime conviction que je devais le faire, non pas pour réhabiliter, honorer, prouver, rétablir, révéler ou réparer quoi que ce fût, seulement pour m’approcher. À la fois pour moi-même et pour mes enfants – sur lesquels pèse, malgré moi, l’écho des peurs et des regrets – je voulais revenir à l’origine des choses. Et que de cette quête, aussi vaine fût-elle, il reste une trace.

J’écris ce livre parce que j’ai la force aujourd’hui de m’arrêter sur ce qui me traverse et parfois m’envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d’avoir peur qu’il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l’emprise d’une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra dans l’ombre.

Aujourd’hui mes enfants grandissent et même s’il est d’une grande banalité de dire à quel point cela m’émerveille et me bouleverse, je le dis et je l’écris, mes enfants sont des êtres à part entière dont la personnalité m’impressionne et me réjouit, aujourd’hui j’aime un homme dont la trajectoire a étrangement percuté la mienne (ou plutôt l’inverse), à la fois si semblable et si différent de moi, dont l’amour inattendu, dans le même temps me comble, me renverse et me renforce, aujourd’hui il est dix heures quarante-quatre et je suis face à mon vieux PC que je maudis pour sa lenteur mais que j’adore pour sa mémoire, aujourd’hui je sais combien tout cela est fragile et que c’est maintenant, avec cette force retrouvée, qu’il faut écrire et aller au bout.

Il sera toujours temps de pleurer.

Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, Édition Jean-Claude Lattès, 2011, pp.296 à 298.

                 

 

https://sylviesaliceti.com/wp-content/uploads/2021/09/alain-bashung-osez-josephine.mp3?_=1

Auteur : Jean Fauque
Compositeur, interprète : Alain Bashung

 

 

Du livre se dégage la splendeur du noir quand il devient lumière ; nul hasard si la citation d’exergue est empruntée à Soulages : « Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans contrastes, sans transparences. Dans cet extrême j’ai vu en quelque sorte la négation du noir. Les différences de texture réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre. Mon instrument n’était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir. »

Les remerciements de fin d’ouvrage s’adressent à Alain Bashung et son talentueux parolier Jean Fauque, pour la chanson qu’ils signent ensemble, respectivement en tant qu’auteur et compositeur-interprète – « Osez Joséphine » – et dont une phrase donne son titre au livre : plus rien ne s’oppose à la nuit. De l’aveu de l’auteure, cette chanson à «la beauté sombre et audacieuse»,  l’a accompagnée tout au long de l’écriture.

Sylvie-E. Saliceti

 

 

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