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[Un crépuscule matinal]Les sonnets de Joseph Brodsky par Elena Frolova

 

L’ombre d’Hermann Hesse plane sur la génération Eltsine et l’on redécouvre des poètes jadis honnis par le régime. On retrouvera ainsi des poètes connus depuis longtemps en Occident : Joseph Brodsky (1940-1996), déporté dans les années 60, exilé un peu plus tard, avant que l’Occident lui offre la gloire d’un prix Nobel. On put le lire en France dès 1966 et l’on y chercherait d’ailleurs en vain quelque accent contre-révolutionnaire.
La traduction musicale d’Elena nous en restitue toute la puissance sereine, arrachée au temps. On comprend mieux en l’écoutant ce qui pouvait émouvoir les uns et effrayer les autres.

(…)

Le crépuscule d’Elena semble prendre une autre signification, il serait du matin, une aube où l’on fourbit le matériel nécessaire pour la route, où l’on chasse le chagrin avec insolence. On dit souvent des poètes qu’ils cachent leur souffrance sous des apparences légères.
Chez Elena, on pourrait facilement renverser la phrase. Même dans les ballades les plus mélancoliques, un optimisme vigoureux transparaît. La mort rôde, certes, mais elle la repousse au loin comme dans Le Vagabond et Quand passent les nuages, son «vivre» jusqu’à bout de souffle est lancé comme un défi. Chanter la poésie n’est pas seulement une mise en musique — une traduction qui serait déjà un beau cadeau pour nos oreilles occidentales, c’est aussi la poursuite de l’acte créatif intime du poète dans l’espace contemporain. Elena Frolova relit Brodsky, Tsvetaeva, Essenine et poursuit leur oeuvre poétique, certes elle ne lève pas tous les points d’interrogation, mais elle transforme les craintes en espoir.

Camille Rancière, Le crépuscule matinal d’Elena Frolova, Notice accompagnant le disque “Zerkalo”, L’empreinte digitale ( Marseille), Direction artistique : Catherine Peillon, 2010.

https://sylviesaliceti.com/wp-content/uploads/2016/01/287a0-01-04-petit_sonnet_little_sonnet-128.mp3?_=1

Petit sonnet
Auteur : Joseph Brodsky
Compositeur, interprète : Elena Frolova

СОНЕТИК (И. Бродский)
Маленькая моя, я грущу (а ты в песке скок-поскок).
Как звездочку тебя ищу: разлука как телескоп.
Быть может, с того конца заглянешь (как Левенгук), не разглядишь лица,
но услышишь: стук-стук. Это в медвежьем углу
По воздуху царапаются кусты, и постукивает во тьму
сердце, где проживаешь ты,
помимо жизни в Крыму.

**

*

De nouveau nous vivons au golfe,
et les nuages flottent au-dessus de nous,
et le Vésuve contemporain gronde,
et la poussière retombe sur les ruelles,
et les fenêtres des ruelles tremblent.
Un jour nous-mêmes serons couverts de poussière.

Et cet instant malheureux je voudrais
en tram aller aux faubourgs,
entrer dans ta maison,
et si dans une centaine d’années,
ils viennent déterrer notre ville,
je voudrais qu’ils me trouvent
dans ton étreinte éternelle
couvert de nouvelles cendres.

Сонет

Мы снова проживаем у залива,
и проплывают облака над нами,
и современный тарахтит Везувий,
и оседает пыль по переулкам,
и стекла переулков дребезжат.
Когда-нибудь и нас засыпет пепел.

Так я хотел бы в этот бедный час
приехать на окраину в трамвае,
войти в твой дом,
и если через сотни лет
придет отряд раскапывать наш город,
то я хотел бы, чтоб меня нашли
оставшимся навек в твоих объятьях,
засыпанного новою золой.

Joseph Brodsky, Sonnet, Traduction : Azamat Rhakimov .

 

 

 

 

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