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[Il ne fait jamais nuit] Sylvie-E. Saliceti

Zao Wou-Ki – Il ne fait jamais nuit – 2005 -Diptyque

 

 

IL NE FAIT JAMAIS NUIT

 

Quand on referme un livre absolument juste, souvent s’ensuit un long silence. Un temps de deuil succède au livre. Des mots lus, ne restent qu’une atmosphère, un parfum flottant, de beauté, de crime, de laideur, de bonté, que sais-je ? — une trace de toutes les nuances, de tous les contraires qui font l’humanité. Des mots effacés, se devine à peine un sillon. Un vrai livre se réécrit après la lecture. Il se déploie en nous, éveillant ce qui sommeillait depuis les origines, inscrit, enfoui dans les fibres de la chair. À la façon d’une laisse de mer creusant sa forme dans le sable avant de se retirer, le livre travaille en creux dans le corps du lecteur, dont il ranime les mémoires archaïques, immémoriales. Ce que parler veut dire, c’est la vibration de la lumière sur l’ombre. Encre sur papier. Encre aussi noire que la nuit du monde, l’écriture se fabrique avec le bois brûlé, la fumée, le charbon, le noir de lampe, la sécrétion de cochenille, le musc, les matières animales ou extraites de végétaux, avec surtout la vie consumée, fragile, éphémère des hommes. Et quand le livre se ferme, c’est comme la voix du plus sûr des amis, soudain en allée. Alors on parle avec l’ombre des mots. On écrit depuis les jardins nocturnes. Et comme les mots sont des arbres, on s’abrite sous le saule, le châtaignier ou le chêne. Et comme les mots sont des fleurs, on les respire. Et comme les mots sont des chandelles, il ne fait jamais nuit.

Comme revenant à la clarté de l’été grec, je relis le livre du poète de Mytilène. Moi aussi je prends le printemps, et je l’ouvre. Avec précaution, j’ouvre toutes les constellations de toutes les  fleurs de marguerites, de pivoines, d’orchidées et de lys. Je respire l’haleine de l’alouette, le souffle du papillon et des petites bêtes, des ascalaphes, des fourmilions, des couleuvres à nez retroussé, des lézards, chenilles, reptiles, volatiles et « autres monstres bigarrés aux antennes en fil de fer ».

Sylvie-E. Saliceti — Bois Luzy 7 juin / Haute-Corse décembre 2023 ( Souffleur de verre VIII)

https://sylviesaliceti.com/wp-content/uploads/2016/02/514ba-01-01-angelique_ionatos-ouverture-128.mp3?_=1

Ouverture ( Comme un jardin la nuit)
Auteur : Odysseus Elytis
Angélique Ionatos & Katerina Fotinaki : Voix, guitares, arrangements

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