Où l’on parle de vie, de vie comme la pierre unique taillée dans la matière dense de la langue. «C’est la langue que nous parlons, c’est la langue qui nous sculpte», nous dit T. Vinau.
En écho de cette appréhension de la langue comme une architecture intime, voici encore ce chant allégorique qui aurait pu être celui d’Orphée. Magnifiques A. et P. Ionatos, qui hissent la poésie au rang d’initiation : «sauvez-la du renard, vous n’en avez pas d’autre».
Sylvie-E. Saliceti
Orpheus Franz Von Stuck 1891
Il était poète E. Lemaire/Angélique Ionatos, 1975 Interprète : Angélique et Photis Ionatos Album : Il faut que je te dise
Une pensée amicale pour Photis Ionatos, poète et musicien grec, cantopoète à la sensibilité rare et subtile au pays de Cavafis, Ritsos, Elytis, Hatzopoulos, Kaïteris, Alexandrou …
S.-E. S.
Elegio
C’est l’homme aux mille tours,
Muse, qu’il faut me dire,
celui qui tant erra,
quand de Troade, il eut pillé
la ville sainte,
celui qui visita les cités
de tant d’hommes,
et connut leur esprit,
Celui qui, sur les mers,
passa par tant d’angoisses,
en luttant pour survivre
et ramener ses gens
Homère, Texte accompagnant le Livre-disque «Elegio» paru en avril 2017, sur une traduction de Photis Ionatos.
Lorsque tu feras voile pour Ithaque
souhaite que la route soit longue
pleine d’aventures, pleine d’expériences.
Les Lestrygons et les Cyclopes
le furieux Poséidon, ne le crains pas,
tu ne trouveras pas de choses pareilles sur ta route
si ta pensée reste élevée, si une délicate émotion
anime ton esprit et ton corps.
Les Lestrygons et les Cyclopes
le farouche Poséidon, tu ne les verras pas
si tu ne les portes dans ton âme
si ton âme ne les dresse devant toi.
Souhaite que la route soit longue.
Que soient nombreux les matins d’été
où — avec quel plaisir, quelle joie —
tu entreras dans des ports vus pour la première fois;
arrête-toi dans des bazars phéniciens
et achète les bonnes marchandises,
nacres et coraux, ambres, ébènes,
et parfums voluptueux de toutes sortes,
le plus possible de parfums voluptueux.
Va dans plusieurs villes égyptiennes
apprends et apprends encore des sages.
Ithaque doit toujours être présente à ton esprit.
Y arriver est ton destin.
Mais ne presse nullement le voyage.
Mieux vaut qu’il dure plusieurs années
et que, vieillard enfin, tu abordes dans l’île,
riche de ce que tu auras gagné en chemin
n’espérant pas qu’Ithaque te donne des richesses.
Ithaque t’a donné le beau voyage.
Sans elle tu n’aurais pas pris la route.
Elle n’a rien d’autre à te donner.
Si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé.
Sage comme tu l’es devenu, avec tant d’acquis
tu dois avoir déjà compris ce que sont les Ithaques.
Constantin Cavafy, Poèmes, traduit du grec par Ange S. Vlachos, Éditions Héros-Limite, 2010, pp 51-52.
Pia Thelissi Theou Interprète : Photis Ionatos Album Ithaque Auteurs : K.G. Karyotakis/Photis Ionatos Compositeurs : K.G. Karyotakis/ Photis Ionatos