Giorgio Morandi, Natura morta, 1936, Mamiano di Traversetolo (Parma) © Fondazione Magnani Rocca
Ce bol presque blanc, voisinant avec une boîte, un vase, une bouteille : ne le dirait-on pas mieux fait qu’aucun autre pour que le pèlerin l’emporte dans ses bagages et y recueille, à l’étape, au «puits du Vivant qui voit», de quoi se désaltérer? Même, ou surtout, le pèlerin immobile, celui qui a fini par ne se déplacer plus qu’en pensée, si ses pieds ne le portent plus ?
Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin
Sommes-nous ces bols vides de Morandi ?
Nous ne pensons à rien quand survient ce don au creux de l’oreille. Confidence du souffle, le silence grandit l’espace où résonne l’univers. Fraternité d’une voix sans visage : sur la page invisible, les gouttes, minuscules gemmes de diamant, à peine une pluie d’encre, une nuit constellée dans la blancheur de nos vies de papier.
Traverser. Se laisser traverser. Entendre la musique intérieure.
Comme le violoniste jouant dans le sens de la veine du bois, les livres épousent la courbe des arbres. Nous n’écrivons pas nos livres. Ils s’écrivent seuls. Les écrivains, copistes fidèles, font à peine mieux que traduire ce que disent les branches : l’alphabet muet des chênes et des vignes, la litanie des oiseaux, le battement du sang au centre de la nuit, la parole qui murmure à l’arrière du silence.
Les mots ne meurent pas. Venus d’un autre espace, d’un autre temps, ils nous reviennent après avoir traversé l’univers.
La solitude, l’abîme, la lumière. Il suffit d’un peu d’attention, la justesse se frôle, se laisse approcher — caresse d’un adagio pour hautbois de Bach.
Sylvie-E. Saliceti, Bois Luzy 7 février 2019.
Adagio du Concerto pour hautbois en ré mineur
Piano Anne Queffélec