Tu me demandes quel est mon pays ?
Mon corps est mon pays.
Qui es-tu ? As-tu convoyé le galop des étoiles,
as-tu dévalé le cours des torrents,
es-tu fleur éclose aux lèvres du mur ?
As-tu revêtu les ailes d’un papillon,
es-tu allé te cacher au-dedans d’un rocher,
as-tu ouvert ta paume,
fait un lit du soleil,
es-tu devenu le murmure d’une forêt,
as-tu entendu le tocsin des montagnes
sonner au cou d’un nuage ?
Qui es-tu ? Ah ! Ha !… Une fois on était,
une fois on s’en est allé :
tu es l’esclave de la route, une guenille sur la route,
tu es cimetière, tu es habitude…
moi je suis découverte, conquête,
il y a sous mes cils un espace de chevaux fantômes –
les fantômes, les lieux, sont des caravanes de pain,
les plantes, les fleurs, les rivières, les plaines
sont des chevaux fantômes
et les hennissements : des blessures,
et les montagnes sont pleines de tentations murmurées.
Avec mes échelles j’ai tissé des ailes à la patience,
j’ai enlacé la source, la perle blanche et les miroirs :
ô vous les arbres des jours, de quel soleil
vous êtes-vous vêtus sous mon tropique,
ô vous les arbres du vertige ?
Et j’ai dit, voici notre feu, voici l’emblème de la fraternité.
(…)
Adonis, Mémoire du vent, Poèmes 1957-1990, Préface et choix d’André Velter, Traductions de Chawki Abdelamir, Claude Esteban, Serge Sautreau, André Velter, Anne Wade Minkowski, revues par l’auteur, Poésie/Gallimard, 1991, pp. 87/88.