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[Lorsque nous quittons notre lieu d’origine] Erri De Luca

Giuseppe Caccavale – Fresques Affreschi

 

Lorsque nous quittons notre lieu d’origine, nous autres, hommes du sud, sommes des dents ôtées de la mâchoire. L’extraction ne laisse pas de racines, mais la forme d’un vide, un trou extorqué. Nous nous en allons avec notre dialecte meurtri, nous l’utilisons peu, dans une angoisse, avec quelque chanson. Et nous la chantons pour appeler dehors ces syllabes rapides, de plus en plus brèves, faciles et premières, de l’italien qui arrive second, toujours. Celui qui croit que chante en nous la nostalgie des origines se trompe : elle est perdue, celui qui la quitte est expulsé, radié du registre de l’état-civil, de la liste. Nous n’avons ni droits, ni rôle, ni souvenir. Et si nous voyageons vers ce lieu de départs, nous ne pouvons utiliser aucune forme du verbe « revenir ». Revenir, non, personne ne nous donne de visa pour voyager avec le plus fort des verbes de mouvement. Celui qui quitte le sud en devient déserteur.

 

Erri De Luca, in Fresques / Affreschi, Giuseppe Caccavale, Ouvrage bilingue français-italien, textes de Erri De Luca et Jean-Jacques Jolinon,  43 illustrations en couleur, Éditions Parenthèses, Collection Arts, 2002, p.35.

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