Les fèves
J’ai pelé leur enveloppe verte,
tenu dans mes doigts le premier fruit,
puis mâché lentement : première fève mûre
du terrain semé en hiver.
Mon père remerciait sa vie
en goûtant leur primeur.
Je les plantais pour lui, trop de décennies plus tôt.
Je les sème pour toi, pour te revoir en mai
et hier j’ai cueilli la première enveloppe verte,
avec toutes les perles cultivées
par moi pour te les donner.
Elles cédaient entre mes dents avec le parfum senti sur tes mains, en mai de l’autre année.
Il m’a semblé que tu me les offrais toi,
je les prenais de la distribution :
une à toi, l’autre à moi.
Ce sont des impressions, elles montent par le nez,
picotent le cerveau et mouillent un peu les yeux,
de celui qui t’invente, te contraint
à être à l’intérieur de toutes les absences,
contre la géographie de la distance.
Vive mai, vive tes fèves,
peu importe, je les cueillerai toutes,
je les congèlerai pour le jour où l’on pourra
se faire du coude assis côte à côte,
une à toi, l’autre à moi.
À cause de l’amour je crois, je soutiens, j’affirme
que leur total est infini,
par absence de l’impair et du pair.
Erri De Luca, Aller simple suivi de L’hôte impénitent, Traduction de l’italien par Danièle Valin, Édition bilingue, Éditions Gallimard, 2021, pp. 282/284.
Tout simplement délicieux. A savourer sans modération! Merci pour ce partage…de fèves
Volontiers !