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[Le sable et l’écume] Khalil Gibran

 

                         Félix Vallotton – Baie de Trégastel-1917

 

Une fois, j’ai rempli ma main de brume.
Quand je l’ai ouverte, la brume était une larve.
J’ai fermé et ouvert ma main à nouveau, et il y avait alors un oiseau.
Et j’ai refermé et ouvert ma main à nouveau, et dans son creux se trouvait un homme au visage triste, tourné vers le ciel.
Une fois encore, j’ai fermé ma main, et quand je l’ai ouverte il n’y avait rien que brume.
Mais j’ai entendu une chanson d’une douceur excessive.

Ils me disent dans leur éveil : toi et le monde dans lequel tu vis n’êtes qu’un grain de sable sur le rivage infini d’une mer infinie, et tous les mondes ne sont que des grains de sable sur mon rivage. 

Une seule fois je suis resté muet. Ce fut quand un homme m’a demandé : « Qui es-tu ? »

La première pensée de Dieu fut un ange.
Le premier mot de Dieu fut un homme.

Nous étions des créatures voletantes, errantes et désirantes des milliers d’années avant que la mer et le vent dans la forêt nous apprennent la parole.
À présent, comment pouvons-nous exprimer ce qui en nous est immémorial avec les seuls bruits de notre passé?

Une fois j’ai vu le visage d’une femme, et j’ai aperçu tous ses enfants qui n’étaient pas encore nés.
Et une femme a regardé mon visage, et elle y a reconnu tous mes ancêtres, morts avant qu’elle ne soit née.

Une perle est un temple bâti par la douleur autour d’un grain de sable.
Quelle nostalgie bâtit nos corps et autour de quels grains ?

Donnez-moi le silence et j’affronterai la nuit.

L’humanité est un fleuve de lumière coulant de la création vers l’éternité.

Seuls ceux en dessous de moi peuvent m’envier ou me haïr.
Je n’ai jamais été envié ou haï; je ne suis au-dessus de personne.
Seuls ceux au-dessus de moi peuvent me louer ou me rabaisser.
Je n’ai jamais été loué ni rabaissé; je ne suis en dessous de personne.

Khalil Gibran, Le sable et l’Écume, traduit de l’anglais par Thierry Gillyboeuf et de l’arabe par Elie Dermarkar, Préface de Thierry Gillyboeuf,Points Poésie, 2008, pp. 19-23.

 

 

 

 

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