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[Le C.V. de Dieu] Jean-Louis Fournier

 

Le ciel était fini, la terre était finie, les animaux étaient finis, l’homme était fini. Dieu pensa qu’il était fini aussi, et sombra dans une profonde mélancolie.
Il ne savait à quoi se mettre. Il fit un peu de poterie, pétrit une boule de terre, mais le cœur n’y était plus. Il n’avait plus confiance en lui, il avait perdu la foi. Dieu ne croyait plus en Dieu.
Il lui fallait d’urgence de l’activité, de nouveaux projets, de gros chantiers.
Il décida alors de chercher du travail, et, comme tout un chacun, il rédigea son curriculum vitae.
(…)

Revenons-en au commencement, dit le directeur. C’est vous qui avez peuplé le ciel et la Terre ? Comment ?
– J’ai fabriqué une petite série d’êtres vivants et je les ai jetés en l’air, comme on jette du sable pour connaitre la direction du vent. Ceux qui ne sont pas retombés, je les ai appelés oiseaux ; ceux qui sont retombés dans l’eau et ne se sont pas noyés, poissons ; et ceux qui sont retombés sur la terre à quatre pattes, vaches… Il n’y en a qu’un qui est retombé sur ses deux pieds…
Dieu s’est arrêté, il semble ému.
– Il a commencé à se plaindre… et à m’engueuler…
Dieu essuie furtivement une larme.
– C’était l’homme.
(…)

Les guêpes c’est vous ? demande le directeur du personnel à Dieu.
-Pas du tout, répond Dieu.
-Qui est-ce alors ?
-Je ne sais pas, moi j’ai fait les abeilles, les guêpes, c’est des contrefaçons…
-Les abeilles, elles piquent aussi !
– Oui, mais elles donnent du miel.
– C’est pas une excuse. Les betteraves sucrières, elles font du sucre aussi, mais elles ne piquent pas.
-Vous pourriez pas me lâcher un peu la ruche ?
-Je fais mon travail.
(…)

– C’est vous qui avez eu l’idée de la reproduction des hommes? demande le directeur à Dieu.
– Hélas ! oui. J’étais fatigué, j’avais fini tous les modèles de base, j’avais le droit de me reposer, j’ai voulu passer la main. Il n’y avait plus qu’à recopier, alors j’ai sous-traité (…)
– Mais c’est votre propre fils qui leur a dit : « Croissez et multipliez-vous.»
– Oh lui, quand il y a une connerie à dire, il est jamais le dernier.
(…)

Pourquoi, souvent, ce qui est bon est enfermé dans une coquille ou une carapace difficile à ouvrir ? Là c’est le consommateur qui parle.
– Ne comptez pas sur moi pour mettre les huîtres en berlingots et une fermeture éclair sur la queue des homards, ma devise c’est : Ad astra per aspera…
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– C’est du latin. Ca veut dire : « Plus t’en chies, plus t’es heureux après. »
– Et c’est vrai ?
– On ne peut pas mentir en latin.
(…)

– Prier qui ?
– Bouddha, Yahvé, Allah, Jupiter, Zeus, Civa…
C’est pas les dieux qui manquent.
– Ce sont des pseudonymes.
– Qui se cache derrière ?
– Vous ne devinez pas ?
– J’ai ma petite idée.
– Moi, bien sûr, pour donner aux hommes l’impression qu’ils sont libres de choisir leur dieu. C’est comme pour les téléviseurs, il n’y a que le nom qui change ; l’intérieur, c’est la même chose.

Jean-Louis Fournier, Le C.V. de Dieu, Éditions Stock, 2008.

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