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[76 Clochards Célestes] Thomas Vinau et Daniel Darc

 

Voici 76 portraits de clochards célestes qui rassemblent des personnalités fulgurantes, plurielles, riches ; artistes, écrivains, poètes, jazzmen, chanteurs :  Whitman, Lester Young, Mario Rigoni Stern, Francis Bacon, Nicolas Bouvier, Dado, Billie Holiday, Roger Gilbert-Lecomte, André Laude, Thierry Metz, Norge, Jean-Claude Pirotte, Jules Renard, Miroslav Tichý…

Le trait commun semble résider dans la tendresse, le choix de se placer à la manière de Giovanni Mirabassi et Cyril Mokaiesh du côté des naufragés, des étoiles trop tôt éteintes. Les sans-voix, ou les mots des pauvres gens : « Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid …». Aucune idéalisation, plutôt la lucidité blessée du soleil : galerie de sales types, de déglingués et d’allumés, de borderline et bords de routes, dit Thomas Vinau, à qui je ne confierais pas mes enfants mais qui ont plus d’une fois recueilli mon cœur malade derrière les ongles noirs de leurs mots, de leurs musiques, de leurs arts. Des hommes qui, en tombant, ont fait du bien aux autres. Des femmes qui ont sculpté, dans les sucs abjects de l’humanité, les doudous de nos petites nuits tristes. Ils n’ont pas renoncé. Ils n’ont la plupart du temps pas eu trop de chance non plus. Ils ont bringuebalé, sublimes et admirables, crevards dégénérés jusqu’à nos yeux blessés. Ils étaient peut-être malades mais c’est eux qui nous ont soignés de beauté, la vraie, la pure, celle qui ne renonce à aucune réalité.

Ci-dessous, le portrait de Daniel Darc, le chanteur qui , entre deux overdoses, a traduit Sergueï Essenine dans une version magnifique et très confidentielle.

Sylvie-E. Saliceti

 

DD, c’est un enfant dans le corps d’un vieillard. C’est un poème dans le corps d’une flamme. C’est la torture d’une goutte d’eau qui vous sauve du silence. DD, il fait croire que c’est un punk, un rocker, mais je sais, moi, en vérité je vous le dis, mes petites ouailles, je sais, moi, que tout ce qu’il est tient dans la petite mécanique et dans le ruban tout pourri de sa machine à écrire. La même qu’Artaud, Burroughs et compagnie. Il en a labouré des nuits avant qu’on lui dise merci . DD, l’est pas tout blanc. Ni tout noir. Ni tout gris. Il a la couleur de l’encre qui fout le camp sous la pluie. Il a l’âme délavée et la carcasse tendre. Il est l’empreinte de la plume sur le papier une fois que l’orage a tout bien nettoyé.

DD, il aime Coltrane, la littérature, le rock, Marcel Carné et Saint Augustin. Il sait bien, lui, que « les enfants qui s’aiment s’embrassent debout contre les portes de la nuit», comme dit la chanson de Prévert.

Ce qui compte dans cette phrase, c’est le mot debout.

Thomas Vinau, 76 Clochards Célestes ou presque, Préface d’Éric Poindron, Dessin de couverture de François Matton, Castor Astral, 2016, pp.70/71.

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La taille de mon âme
Auteur, interprète : Daniel Darc