
Francisco de Zurbarán – Saint François- 1645
PARABOLE
D’abord nous dépouillant des biens de ce monde, comme saint François l’enseigne,
afin que nos âmes ne soient pas distraites
par le gain et la perte, et afin aussi
que nos corps soient libres de se mouvoir
aisément dans les cols de montagne, il nous fallut alors décider
où et vers où nous pourrions voyager, la deuxième question étant
si nous devions avoir un but, ce contre quoi
beaucoup d’entre nous plaidèrent fermement qu’un tel but
équivalait aux biens de ce monde, c’est-à-dire à une limitation ou une restriction,
tandis que d’autres disaient que par ce mot nous avions été consacrés
pèlerins plutôt que vagabonds ; dans nos esprits, le mot se traduissait par
un rêve, un quelque-chose recherché, de sorte qu’en nous concentrant nous pouvions le voir
qui étincelait parmi les pierres et ne pas
passer sans le remarquer : chaque
nouvelle question était débattue aussi profondément, les arguments allant dans un sens et dans l’autre,
de sorte que nous devenions, d’après certains, moins souples et plus résignés,
comme des soldats dans une guerre inutile. Et la neige tomba sur nous, et le vent souffla,
qui après un certain temps se calmèrent – là où il y avait eu de la neige, de nombreuses fleurs apparurent,
et là où les étoiles avaient brillé, le soleil se leva par-dessus la cime des arbres
[…]
Louise Glück, Nuit de foi et de vertu, Édition bilingue, poèmes, traduit de l’anglais ( États-Unis) et présenté par Romain Benini, NRF/Gallimard, 2014, p.16/17.