Bailar Cantado Fiesta Mestiza En El Perù
Chef d’orchestre : Jordi Savall
Interprète : La Capella Reial de Catalunya
CERTAINS JOURS IL ME VIENT UNE ENVIE DÉBORDANTE
Certains jours, il me vient une envie débordante, politique,
d’aimer, d’embrasser la tendresse sur ses deux visages,
et me vient de loin aussi un autre désir
démonstratif, un autre désir d’aimer, de gré ou de force,
celui qui me hait, celui qui déchire son rôle, le gamin,
celle qui pleure pour l’homme qui pleurait,
le roi du vin, l’esclave de l’eau,
celui qui s’est caché dans sa colère,
celui qui sue, celui qui passe, celui qui agite sa personne dans mon âme.
Et je veux alors ordonner la tresse
de quiconque me parle : les cheveux du soldat ;
la lumière du grand ; la grandeur du petit.
Je veux repasser directement
un mouchoir pour celui qui ne peut pas pleurer
et, lorsque je suis triste ou que le bonheur me fait mal,
rapiécer les enfants et les génies.
Je veux aider le bon à être un peu méchant
et j’ai l’urgent besoin d’être assis
à la droite du gaucher, et de répondre au muet,
essayant d’être utile autant
que je le peux, et j’ai très envie aussi
de laver le pied du boiteux
et d’aider à dormir le borgne, mon prochain.
Ah, quel amour est celui-là, le mien, cet amour mondial,
interhumain et tout proche, immémorial !
Il tombe opportunément,
des fondations, de l’aine publique,
et, venant de loin, donne envie d’embrasser
le chanteur sur son écharpe,
celui qui souffre sur sa fournaise,
le sourd sur sa rumeur crânienne, impavide ;
celui qui me donne ce que j’ai oublié dans mon cœur,
sur son Dante, sur son Chaplin, sur ses épaules.
Je veux, pour terminer,
quand je suis aux rives tant chantées de la violence,
ou que j’ai le cœur gonflé de force, je voudrais
aider à rire celui qui sourit,
mettre un petit oiseau en pleine nuque du méchant,
soigner les malades par la colère,
aider le tueur à tuer — chose terrible —
et je voudrais être bon avec moi-même
en tout.
6 novembre 1937
César Vallejo, Poèmes humains, Préface de G. Semprun, Traduction de l’espagnol, notes et postface de François Maspero, Édition bilingue, Éditions du Seuil, 2011, pp.249 à 251.