
Gustav Klimt – La Vie et la Mort – 1908
Alors Al-Mitra reprit la parole, en disant : « À présent nous aimerions t’interroger sur la Mort ».
Et il répondit :
«Vous voudriez percer le secret de la mort,
Mais comment y parvenir sans aller le chercher au cœur de la vie ?
Le hibou qui vit à l’orée de la nuit est aveugle au jour; ses yeux ne peuvent dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous brûlez de voir l’esprit de la mort, ouvrez grand votre cœur dans le corps de la vie.
Car la vie et la mort ne font qu’un, comme ne font qu’un la rivière et la mer.
Dans les profondeurs de vos espoirs et de vos désirs sommeille votre silencieuse connaissance de l’au-delà ;
De même que la semence rêve sous la neige, votre cœur rêve des épousailles du printemps.
Ayez confiance en vos rêves, car en eux sont cachées les clés de l’éternité.
Votre effroi face à la mort n’est que ce tremblement du berger lorsque le roi lui fait l’honneur de le recevoir et s’apprête à poser sa main sur sa tête.
Or, en allant recevoir l’insigne du roi, le berger ne sait-il pas qu’un frisson de joie s’éveille déjà sous sa frayeur?
Et pourtant n’est-il pas encore plus conscient de sa peur ?
Qu’est-ce donc que mourir, si ce n’est s’offrir nu au vent et s’évaporer au soleil ?
Et cesser de respirer, n’est-ce pas libérer le souffle de ses perpétuelles marées, afin de s’élever sans le poids de la chair et de s’exhaler à la recherche de Dieu?
Quand vous aurez bu à la rivière du silence, alors seulement vous pourrez véritablement chanter.
Et lorsque vous aurez atteint le sommet de la montagne, vous commencerez à monter.
Et dès lors que la terre aura réclamé votre corps, vous saurez enfin danser ».
Khalil Gibran, Le prophète, Traduit et commenté par Jean-Pierre Dahdah, J’ai Lu, 2021