Aller au contenu

[La moisson] Sylvie-E. Saliceti

René Seyssaud (1867-1952)-Moisson-1920

 

La moisson ou l’allégorie de l’homme brisé et de sa renaissance

 

De quel Père du désert du Wadi Natrun ou de Scété viennent-elles, ces pensées ? Elles naissent dans les lieux d’aridité, de ronces, de serpents brûlants et de scorpions, où la soif met en chemin. Là où quelque moisson inattendue trouve à pousser dans le désert.  Comment ranimer les pierres sèches ? La poussière ? Le sable ? Comment rappeler la vie là où il n’y a rien ? Le Néguev sait comment faire parler le sol inculte, ingrat quand il retient la mémoire enfouie de l’oranger. De même l’ermite Pacôme né à Esneh en Haute-Égypte, qui sept ans durant fit l’apprentissage de l’ascèse — eau, pain, sel et trop peu de sommeil — apprentissage âpre de l’isolement avant la réunion des solitaires dans les sables de Tabennesi. Les pèlerins se voulaient anonymes, invisibles comme « un homme qui n’existe pas ». Leur secret dit-on, est aussi dur que la coque de noix que rien ne brise dans les contes, sinon au moment où survient le danger le plus grave.

Un jour la coquille se brise.

L’homme est pareil à un cerneau de noix. Il se révèle sous la brisure. Dans sa verticalité assaillie, il prend valeur d’une allégorie de l’élévation, celle de l’homme brisé puis de sa renaissance. Marcher au cœur des vestiges confronte à l’expérience de la perte. À la soif. À l’épreuve du sens. Toute chose accomplie s’achève là. Emportée par le souffle du temps. Le souffle du vent.
Dans la part la plus lointaine de soi, la plus intime, il existe un espace perclus de ruines, de déserts et de sources. Un espace paradoxalement ouvert, de fraîche lumière, sur une terre noire et fertile. Toute la mémoire humaine semble concentrée dans cette glèbe d’ombre, pleine de sucs, assez pour nourrir la renaissance des vieilles morts. Le sens de l’existence trouve sa raison d’être dans cette sorte de désert infini, abandonné à la fugacité des choses. Un désert bruissant d’insectes, de pierres et de questions. Pour habiter les ruines, il ne reste plus qu’elles, les questions. Elles murmurent à l’oreille du promeneur : viens avec moi dans les ruines de Ficaghjola, là-bas tu verras, il y a tout ce qui nous manque. C’est ce qui t’a fait plier qui te donnera ta moisson. N’oublie pas de cueillir les fruits. C’est ce qui t’a fait tomber qui te relèvera. 

Sylvie-E. Saliceti, Il a neigé à travers les toits & autres écrits insulaires, A Fior Di Carta, 2019, pp.63/64.

 

 

 

Laisser un commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur CARNETS NUMÉRIQUES DE SYLVIE-E. SALICETI Poésie, littérature, cantologie.

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading