À nouveau, et pour la troisième fois en ce siècle,
La moitié du monde ne dort pas.
Elle attend. Prête l’oreille. Se tait.
Et tremble.
— Allons-nous nous dissoudre dans l’atmosphère ?
— Allons-nous nous effondrer avec fracas ?
(Avec les Mozart, les crépuscules, les aubes et les libertés.)
Bonnes gens, vous n’avez pas compris votre avenir,
Vous n’avez pas reconnu vos prophètes
Des années vingt, trente, quarante.
Ainsi personne n’est prêt !
Vous vous êtes endormis et personne ne vous réveillera,
Personne ne ressuscitera au son des trompes,
Personne n’aura la patience d’attendre jusqu’au bout,
Les cendres vont se disperser au vent,
Les cendres vont couvrir vos visages humains,
Elles vous devanceront, vous suivront,
Seront en vous et au-dessus de vous.
Mais où sont vos poètes ?
Ils attendent. Prêtent l’oreille.
Et tremblent.(…)
1973
Nina Berberova, Anthologie personnelle 1921-1983, Poésie, Version française d’Hubert Nyssen d’après une traduction du russe par Alexandra Pletnioff-Boutin, Éditions Actes Sud, 1998, E.1757.
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Née à Saint-Pétersbourg en 1901, exilée en France en 1925, émigrée aux Etats-Unis en 1950, Nina Berberova est morte à Philadelphie en 1993. Toute son œuvre est éditée chez Actes Sud.